par Dominique Banizette
La vie est mouvement. Nous pouvons l’observer à toutes les échelles de la vie. De la plus lointaine galaxie à la plus petite particule de lumière.
La vie est transformation. C’est aussi ce que nous pouvons observer à chaque instant. Rien ne perdure, tout change tout le temps, parfois pour notre plus grand bonheur, d’autres fois pour notre plus grand désarroi.
La vie, celle des humains en tous cas, car je ne m’aventurerai pas ici à projeter mon propos au delà du champ de l’humanité, la vie donc que nous développons, est aussi desseins, propos, intentionnalité, toutes expressions issues de la pensée ou de l’esprit, nommées Yi en chinois.
En accord avec, en rejet contre ou en questionnement sur … l’ensemble de nos actes sont précédés et sous tendus par les réflexions et les choix qui engendrent nos intentions, nos intérêts, nos rêves … pensées particulières qui façonnent notre vie.
C’est de cette catégorie de pensées, très constructives quand elles sont en lien avec Zhi, la puissance réalisatrice des Reins, que je me propose de vous entretenir un court instant dans ce petit texte.
La pensée qui précède donc, celle qui impulse l’action, mais aussi celle qui grâce à Zhi, soutient le propos dans le temps et va l’amener à réalisation. Ce type de pensée appelée Yi-Zhi dans la pensée chinoise est aussi fondamental dans la pratique que dans la vie.
Commençons par nous intéresser à Zhi, la puissance réalisatrice, la détermination.
Selon le dictionnaire Ricci : Zhi est la volonté profonde, la détermination, l’aspiration, la résolution, la capacité réalisatrice, le fait d’être tendu vers un but.
Pour le Su Wen C’est le propos qui se développe en intention
Pour la MTC Zhi est hébergé aux Reins. C’est le Ben Shen (racines de Shen, l’esprit) des Reins. C’est la puissance spirituelle propre à la fonction Reins, liée à la modalité Eau.
Selon le dictionnaire occidental*,
La volonté est une disposition mentale, une faculté à se déterminer librement à agir ou à s’abstenir, de façon conforme à une intention.
La détermination, attitude de celui qui agit sans hésitation et dans la durée.
L’aspiration, action de porter ses souhaits vers une réalisation.
La résolution décision volontaire fermement arrêtée avec intention de s’y tenir.
Zhi nous engage donc dans le mouvement même de la réalisation de nos motivations, de nos projets. Il permet la constance, la persévérance, la détermination dans la poursuite d’un objectif. Il est puissance réalisatrice. Il est intentionnel et engage le temps.
Cette détermination ne doit cependant pas être confondue avec le vouloir ou la velléité.
Selon le dictionnaire occidental*, la velléité, est un désir, une envie faible, une tendance mal affirmée, un souhait qui n’aboutit pas à une décision. C’est un mouvement spontané de l’organisme, une disposition temporaire physiologique ou psychique suscité par une idée, l’imaginaire, la mémoire, les besoins ….
On voit donc que le vouloir ou velléité n’est pas lié à l’intention et ne s’appuie pas sur la puissance réalisatrice des Reins. Il n’a pas d’engagement dans le temps, mais a seulement des vues à court terme et cherche la satisfaction immédiate : désir, envie, souhait …
Zhi, la puissance réalisatrice des Reins, est plus condensée, concentré, déterminée que la velléité, qui est plus légère, plus passagère.
On peut noter cependant que cette puissance seule ne suffit pas, car elle ne contient pas d’intention
en elle-même ! Zhi, Ben Shen des Reins est une énergie constante, disponible, qui donne la possibilité d’agir et de mener à bien des propositions. Mais c’est une énergie non différenciée, inactive par elle-même. Il lui faut l’apport d’une direction pour pouvoir s’activer. C’est là l’apport de Yi, le propos.
Zhi, la puissance des Reins, est la base réalisatrice sur laquelle va pouvoir s’appuyer Yi, le propos pour mener à bien son objectif.
L’orientation du mouvement, le domaine de Yi.
Yi, l’intention, le propos est directionnel. C’est le petit mouvement de l’esprit qui va imprimer un sens, une direction à un objectif.
Selon le dictionnaire Ricci :
Yi est une intention, un dessein, un propos, une idée, une pensée, un intérêt, un sentiment personnel.
En philosophie chinoise C’est le plus léger des mouvements de l’esprit dans l’éveil d’un intérêt ou dans la cessation de cet intérêt. C’est une préconception, l’ébauche d’une pensée. C’est la première image qui se présente à l’esprit.
C’est aussi le sentiment personnel, l’intention, que celui qui parle, pense et agit, met dans ce qu’il exprime.
En MTC Yi est hébergé à la Rate, c’est le Ben Shen de la Rate. La puissance spirituelle propre à la fonction Rate, lié à la modalité Terre
En alchimie Taoïste C’est l’idée directrice.
Selon le dictionnaire occidental*,
Une intention : c’est l’action de la volonté par laquelle on se propose de diriger l’activité vers l’objectif à réaliser.
Un dessein : idée que l’on forme d’exécuter quelque chose, intention, projet.
Un propos : ce qu’on se fixe pour but.
Une idée : représentation élaborée par la pensée. Manière de concevoir une action ou de se représenter une réalité.
Une pensée : c’est une idée, une représentation, une image, une réflexion produite dans la conscience par la faculté de réfléchir.
Un intérêt : état d’esprit qui prend part à ce qu’il trouve digne d’attention. Attention que l’on porte à quelque chose.
Rencontre entre la Terre et l’Eau, Yi Zhi
Comme on le voit, Yi est un mouvement de l’esprit, on peut même dire un mouvement du Cœur-Esprit (voir le paragraphe suivant), porteur d’énergie, d’intention. C’est une pensée dynamique à l’origine de la conscience de l’acte, de la construction de l’acte et l’accompagnant dans sa réalisation.
Yi est une proposition de mise en mouvement. Et, bien que de nature précise, il est du domaine de la légèreté, de la vibration, de la matière subtile de l’esprit.
Pour que cette proposition perdure et que l’intention de départ, le « léger mouvement de l’esprit », arrive à se concrétiser, la présence de Zhi, la puissance énergétique et réalisatrice des Reins va être nécessaire. C’est l’association de Yi et de Zhi qui porte le propos à réalisation. C’est cette qualité d’intention qui accompagne l’action que l’on appelle Yi Zhi et qui s’avère tellement précieuse et réalisatrice tant dans la vie que dans la pratique.
Yi Zhi est l’intention précise, stable, permanente mais claire et légère, sans aucune lourdeur, qui se met en place, lors de la rencontre féconde entre la Terre et l’Eau. Entre l’énergie de la Rate mobile, dynamique, harmonisante, légère, créatrice et celle des Reins stable, solide, ferme, constante. C’est la puissance de rassemblement, d’harmonisation et de diffusion des idées, des pensées, de la mémoire.
Nécessité de la paix du Cœur, Xin et de l’esprit, Shen
Cependant, pour que Yi et Yi Zhi puissent s’exprimer, il va également falloir compter avec l’acceptation paisible et confiante du Cœur. Car Yi, le Ben Shen de la Rate est une des 5 racines de Shen. Et Shen, l’esprit, principe organisateur a sa résidence au Cœur.
Yi ne pourra donc trouver sa libre expression, si le Cœur, résidence de Shen, n’est pas apaisé.
Or le Cœur ne peut être paisible et serein, si les émotions ne sont pas régulées et si Xin, la pensée du Cœur liée aux émotions, n’est pas tranquille.
Une vibration, une intention, un léger mouvement de l’esprit s’offre au Cœur.
Celui ci peut l’accepter ou la refuser.
S’il refuse, la vibration disparaît.
S’il la reconnaît et l’accepte, une pensée, une image, une représentation, un propos, Yi, se forme en lien avec la Rate.
Que Zhi la volonté liée aux Reins intervienne et le propos sera fermement établi. Il perdure et devient une intention stable : Yi Zhi
Quand Yi Zhi, une intention stable, persiste en accord avec le Cœur et les Reins, elle se développe avec la puissance et la persévérance ferme mais douce de la plante quand elle s’élève de la Terre vers le Ciel.
Dans la pratique en mouvement : préexistence de Yi, concomitance de Yi Zhi.
Reste à savoir pour nous pratiquants comment et à quel moment Yi et Yi Zhi vont s’exprimer dans la pratique.
Pour un pratiquant débutant, Yi, l’intention, le propos, est une idée assez vague. L’attention, l’intention, le propos, la puissance réalisatrice, … ne sont pas des positionnements de l’esprit volontiers développés dans nos sociétés. Nous sommes plutôt dans la performance, la réussite, la concentration … Et mise à part l’injonction souvent répétée aux enfants « fait attention il va t’arriver ceci ou cela ! », nous ne les éveillons que très peu à cette belle capacité que nous avons en nous de développer une attention sereine et ouverte à tout ce qui est, une présence globale à notre environnement, tant intérieur qu’extérieur et une conscience fine des évènements petits ou grands qui se produisent à chaque instants. Comme par exemple, la caresse d’un léger souffle de vent, le chant d’un oiseau qui nous parvient, une sensation qui se manifeste, un nuage qui passe, une pensée qui se lève et s’en va, une image ou une intuition qui nous arrive, … ou encore une personne qui arrive et les sensations que ça nous procure, l’écoute de l’autre, l’intérêt qu’on lui porte ou l’attention qu’on porte à ses propos, …
Alors, malgré l’émerveillement que les élèves débutants manifestent devant la beauté et l’harmonie de la pratique, l’enthousiasme qu’ils ressentent de pouvoir produire eux-mêmes des gestes si beaux et l’étonnement qu’ils ont devant la rapidité d’apparition des sensations et des ressentis, ils sont très vite rattrapés par leurs habitudes de fonctionnement. Très vite ils se retrouvent tout entier centrés sur eux même et « concentrés » sur la réalisation du geste « bien fait ».
Pour ma part, après trente années d’enseignement, je constate que c’est très bien ainsi. Car j’ai pu observer que cette attention-concentrée des élèves débutants, évite à leur esprit de vagabonder. Cette attention là qui est aussi du domaine de Shen, l’esprit, commence à forger en eux la capacité à être complètement présent à l’instant, complètement présents à ce qu’ils sont en train de faire. C’est-à-dire un geste, que l’on répète et que l’on répète encore … Ainsi, Tranquillement et sans y mettre trop d’attention, l’esprit et le cœur s’apaisent.
A force de répétition, un jour le geste est connu, tellement connu qu’il se fait presque tout seul, facilement, légèrement et si détendu que l’esprit se trouve disponible pour d’autres choses. L’esprit du pratiquant va alors relâcher « sa concentration », relâcher l’idée du « bien faire », s’ouvrir et prendre conscience de tous les évènements, toutes les sensations, intérieures et extérieures qui ont lieu conjointement au geste pendant la pratique. Tout ce qui vit en nous et en dehors de nous pendant que le geste se déroule, se déploie et revient, à chaque fois différent comme si chaque fois était la première fois.
A l’intérieur, la respiration s’opère aisément, le diaphragme monte et descend librement, l’air rentre et sort sans contraintes. Les ligaments et les tendons ont retrouvés leur élasticité, les muscles et les articulations se sont relâchés, le corps bouge facilement et harmonieusement. Le sang et les liquides circulent de façon fluide, le Qi également, les organes sont bien irrigués et fonctionnent au mieux de leurs possibilités.
A l’extérieur toute la vie est là, présente, à la fois tout près de nous et très loin, et on se sent en relation intime avec cette vie là. Les cinq sens, ouverts mais paisibles, nous renseignent sur l’environnement proche sans que cela ne vienne perturber la pratique. Au contraire ces informations viennent très simplement enrichir les sensations. Et étonnamment la présence, la conscience de l’environnement lointain est là également. On ne se sent plus séparé mais au contraire inscrit dans notre espace de vie que l’on peut percevoir comme très vaste.
Les souffles et les esprits circulent librement à l’intérieur de nous et entre l’intérieur et l’extérieur. L’attention, la présence, Shen s’est ouverte. La pratique a commencé son œuvre.
Nous avons vu que la capacité d’attention-concentrée que les élèves ont développée pour l’apprentissage de la gestuelle et du placement de la structure, a permis d’apaiser le cœur et l’esprit et d’amener les premières sensations. Maintenant que la concentration se relâche et que l’attention s’ouvre, à l’intérieur comme à l’extérieur de nous, qu’elle se déploie, vaste et sereine, elle va pouvoir jouer son rôle de point d’appui à l’expression de Yi.
Comme précisé au paragraphe « Nécessité de la paix du cœur et de l’esprit », cette capacité de présence, d’attention est une des expressions de Shen. Yi, la pensée qui induit le geste et l’intention, et Yi Zhi, la pensée qui accompagne le geste et l’énergie, ont besoin de cette qualité de présence de l’esprit pour pouvoir s’exprimer. Le pratiquant devra d’ailleurs veiller à l’entretenir, tant dans la pratique que dans la vie, car les émotions qui sont partie intégrante de la vie ont la capacité à déstabiliser facilement le cœur.
Ainsi, Yi prenant appui sur cette qualité d’attention et bénéficiant de la détente du corps et de la tranquillité du cœur et de l’esprit qui se sont établis durant les années de pratique, va pouvoir exprimer sereinement une intention et Yi Zhi l’accompagner vers sa réalisation.
La pratique va alors s’enrichir de toutes les possibilités créatrices que nous offre l’esprit. La pensée chinoise ne nous dit-elle pas « là ou va la pensée va l’énergie ». En émettant, par exemple, l’intention de laisser sortir des toxines par les Yong Quan ou par le souffle, nous allons avoir une action réelle sur la mise en mouvement du Qi à l’intérieur de nous. Et l’action sera tout aussi réelle si le propos est de conduire l’énergie à un endroit particulier du corps ou le long d’un méridien spécifique ou encore si on propose à notre diaphragme un placement particulier de la respiration ou à notre esprit de se poser sur un point précis du corps ou sur un organe particulier ou au niveau d’un des Dan Tian …
Mais Yi et Yi Zhi peuvent également nous permettre de contacter et de recueillir les énergies de la nature, du Ciel, de la Terre, des arbres, de l’univers et de les incorporer, afin de renforcer le Qi interne.
La pensée est légère mais puissante.
Quelques années plus tard pour le pratiquant avancé, dans l’espace vide des transformations, juste avant que le mouvement ne se déploie ou revienne, le Dan Tian inférieur, la respiration et Yi, se manifestent. Dans cet espace-temps infinitésimal de la transformation, alors que le geste et la respiration sont encore suspendus, Yi, « léger mouvement de l’esprit », trace le geste, il donne sens et direction au geste en relation avec le centre-Reins et la respiration. Le geste n’est pas encore fait mais il est déjà existant puisque déjà tracé. On dit à ce propos que «Yi est premier ».
Puis, quand l’énergie se manifeste au Dan Tian inférieur, le mouvement comme libéré par le centre-Reins, peut se déployer ou revenir librement. Il suit l’impulsion, la trace, la proposition induite par Yi, tout en conservant bien sur la capacité de s’ajuster à chaque instant.
Yi Zhi chemine alors calmement à l’intérieur du geste qu’il a lui-même induit et « il conduit le Qi », délicatement, sans tensions, sans vouloir, avec la légèreté, la clarté et la précision du rêve. Comme un regard, une trace de lumière, une invitation qui permet à quelque chose qui n’était pas localisé auparavant de se manifester.
Dominique Banizette
Joannas le 22 Octobre 2021
* petit Robert et petit Larousse.